Mes ancêtres "Gabelous" de la Gabelle !

Replaçons nous dans le contexte de nos campagnes berrichonnes en cette fin de XVIIème siècle. Les petits paysans, écrasés d'impôts du clergé, du seigneur ou du roi vivent dans une profonde misère et subissent des famines à répétition. La gabelle, la redevance sur le sel est considérée comme la taxe le plus injuste. Elle oblige alors chaque individu à acheter 3,5 kilos de sel par personne et par an à un prix exorbitant (60 livres le minot de 50 kilos), exclusivement dans les greniers officiels, placés sous haute surveillance. Seuls, les indigents sont exemptés de cet impôt. Mais des privilèges de "francs salés" épargnent généralement les nobles, le clergé et les receveurs des impôts
Tout à côté, les provinces de haute Marche et du Poitou sont des zones rédimées et non soumises à cet impôt, en compensation de sommes considérables versées pour la libération du roi Jean Il, prisonnier des Anglais. La vente du sel s'y fait librement chez des regrattiers (des marchands) à un prix six à sept fois moins important qu'en Berry (neuf livres le minot).

A partir de 1740, au minimum, plusieurs de mes ancêtres exercèrent la profession de « Garde des Fermes du Roy », c'est à dire « gabelou », gardes de la Gabelle !! Au delà, tout devient plus incertain. Louis François, garde champêtre lors de son décès en 1806 s'appelait Brochand de la Charmoise avant 1789, lorsqu'il exerçait une activité d' "employé des fermes du Roy". En d'autres termes, employé des services royaux chargés de l'encaissement de la gabelle, la taxe sur le sel : impôt impopulaire s'il en est. En effet, le sel était un produit vital. Ne perdons pas de vue que la salaison était la seule méthode connue de conservation sur longue durée des aliments (beurre, viande), en l'absence d' autres méthodes : froid (possible uniquement l'hiver), fumage (qui ne sera inventé que beaucoup plus tard ! Les employés des "fermes" , en fait des percepteurs d'impôts ou "gabelous" étaient nombreux dans la Creuse qui se trouvait en limite d'une région "de grande gabelle", l'Indre ou le sel était lourdement taxé. La différence de prix très importante était la cause d'un intense trafic de contrebandiers ( les faux - saulniers ) qui achetaient bon marché dans les pays de petite gabelle ( la Creuse par exemple ) et revendaient dans ceux de grande gabelle avec un bénéfice substantiel !! Les employés des fermes appartenaient à plusieurs corps : celui des percepteurs et comptables, celui des magasiniers chargés des "greniers à sel" ou celui des "brigades", militaires armés chargés de la repression de la fraude et de la contrebande. Et cette repression était très brutale et pouvait aller jusqu'à la peine de mort !

Les "fermes" furent réformées puis supprimées à la Révolution Française, en 1792. Notre Brochand de la Charmoise y perdit certainement son emploi et abandonna par prudence sa particule. J'ai pu reconstituer ce scénario avec ses professions successives citées dans les actes de naissance de ses enfants. En 1778, par exemple, à la naissance de son fils Silvain, il était "garde à cheval" à Aigurande, ce qui milite pour une appartenance aux "brigades" armées. Après la Révolution il sera soit "garde champêtre" soit "garde privé". Son père, Silvain Brochand de la Charmoise est né en 1706 et a épousé en 1739 au Pêchereau, près d' Argenton sur Creuse, Prudence de Valencienne.

Mon ancêtre était Capitaine de la Brigade à Cheval de la Celle Dunoise et à ce titre, chargé de la répression de la contrebande du sel tout au long de la rivière Creuse.

Le franchissement par les contrebandiers, de cette rivière (La Creuse ), était nécessaire pour leur permettre de passer de la Creuse, pays de petite gabelle, à l'Indre, pays de grande gabelle, ou le sel coutait 10 fois plus cher et pouvait être revendu avec d'énormes bénéfices.



Pour cela, il fallait emprunter les ponts, les gués ou les moulins car la rivière est à cet endroit trop large et trop profonde pour être traversée avec un sac de 40 ou 50 kilos de sel sur le dos !! L'administration royale chargée de la perception de la gabelle avait installé des "brigades" de cavaliers aux points névralgiques, tout au long de la rivière : à Fresselines, à la Celle Dunoise ( 4 postes sur le territoire de la commune), à Cheniers etc...Ces brigades étaient composées de 7 à 10 cavaliers en moyenne, mais pouvaient atteindre, à la Celle, la quinzaine. ( 57 employés identifiés pour 4 brigades : La gilardière, La Celle, Lavaud et Marseuil).

Les différentes recherches que j'ai pu effectuer m'ont permis de découvrir que les Brochand de la Charmoise ont vécu, et peut être bien vécu, de la gabelle. Ils ont aussi, dans une région ou de très nombreux postes privilégiés étaient disponibles dans cette administration, su s'allier par mariage à des familles qui avaient des responsabilités importantes dans ce secteur. Prudence Devalentiennes, originaire de la Région d'Argenton, est issue d'une famille où j'ai trouvé , outre deux chirurgiens, un Avocat aux greniers à sel d'Argenton, un Lieutenant général d'Argenton ( sorte de préfet) et des femmes alliées aux responsables de l'administration de la Gabelle de la ville voisine de Buzançais.

Et j'ai fait une découverte qui m'a laissé pantois !! Silvain Brochant de la Charmoise, en 1780, agé de 74 ans, était devenu fournisseur du grenier à sel de St Vaury, situé en Creuse, en zone de petite gabelle, là ou la vente était pratiquement libre, le sel bon marché et les ventes aux particuliers non limitées en quantité. C'est à St Vaury que s'approvisionnaient les contrebandiers qui faisaient passer en fraude le sel vers le Nord et la zone de grande gabelle de l'Indre.

(Par son ordonnance du mois de mai 1680, sur le fait des gabelles, Louis X1V fit établir à Saint-Vaury un dépôt de sel pour « Saint-Vaury, Bussière-Dunoise, Saint-Sulpice-le-Dunois, Anham, Champsanglart, Han, Nouzière, Bosna, Moustier-Malcar, Linars, Morteroux, Aiguerant, Celle-Danoise, SaintPierre-du-Tourdoir, Chambon, Sainte-Croix, Malval, Chesnier et la Forest-du-Temple. )

C’est à ce dépôt de St Vaury que s’approvisionnaient les contrebandiers. C’est à ce dépôt dont il était devenu le fournisseur, que Silvain Brochant de la Charmoise, Ex capitaine des gardes de la Celle Dunoise, faisait des livraisons, à partir de 1780, Il était alors agé de 74 ans !L'ex capitaine des gardes se faisait ainsi le complice d'un trafic qu'il était chargé de réprimer lorsqu'il était en activité !!! Ce trafic devait porter sur de très importantes quantités de sel, "importé" des "salines" de Vendée. Et ce en dépit du fait que le trafic du sel était puni des galères pour les particuliers, et de la peine de mort pour les employés de l'administration qui s'en faisaient les complices !! Enfin, autre découverte tout aussi surprenante !! Les contrebandiers étaient souvent des individus isolés, ou qui travaillaient en groupe familial. Mais aussi, et de plus en plus souvent, des bandes importantes, organisées militairement et qui comprenaient plusieurs dizaines de personnes. Or, la bande la plus importante de la région ( 60 personnes ), et aussi la plus hardie, était dirigée, à Argenton sur Creuse, par un jeune Noble ...nommé Louis Devalentienne !! Il fut emprisonné au château de Loches.

Finalement, tout le monde, chacun à sa façon, pillait la trésorerie du bon Roi Louis XVI !!!

Qui, lui, ne se privait pas de piller ses fidèles sujets en leur vendant le sel avec un bénéfice gigantesque ! ! Des calculs effectués de nos jours, et tenant compte des prix d'achat et de vente moyens révèlent que l'Etat vendait 2800 livres ce qui lui en coutait 40 !!! De nos jours, les taxes sur les carburants n'arrivent pas a se hisser à ce niveau, mais la comparaison reste valable à cause de l'importance vitale des 2 produits concernés, le sel au XVIII ème siècle et l'essence au XXI ème !

Décidemment, nos gouvernants ont perdu la main !!

Cette synthèse a été effectuée à partir des relevés généalogiques que j'ai effectué, les informations qui m'ont été fournies par le descendant en ligne directe des personnages cités ci-dessus. D'autres informations ont été tirées de divers sites « Internet » de généalogie.

CHYVER      Il est toujours necessaire de creuser ( surtout dans la Creuse !)

Passionnant!!

L'histoire est passionnante, mais il faut bien voir que le sel est beaucoup plus utilisé que de nos jours. C'est en effet le principal conservateur des viandes et toute les maisons possèdent un saloir. Maintenant, que l'impôt soit juste ou pas se discute. On considère généralement que les impôts représentent 10% du PIB en 1788. Nous en sommes à 43.5% et l'endettement frise celui de la monarchie finissante.

La ferme est un genre de délégation de service public, le roi met en adjudication les impôts qu'il compte lever, et le gagnant verse la somme et se paye sur la bête.