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Il y a cent ans...

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Message par olivierh Dim 29 Mai - 4:08

Alors qu'aujourd'hui, nous vivons une existence tranquille et confortable, malgré les grèves et autres petits soucis, il est bon de rappeler qu'il y a cent ans, d'autres vivaient l'enfer.

Extrait du journal d'un capitaine, sur le front à Verdun :
"20h40.  Nous fournissons cette nuit une corvée de 54 hommes pour aller travailler au boyau entre la Digue et R1 (R = retranchements, quatre retranchements : R1 à 4 défendaient le défilé de Vaux entre le fort et la fausse-côte)
Les ordres sont donnés ; la corvée se rassemble à la carrière, au-dessus du poste de commandement.
A peine suis-je rentré, explosion formidable qui secoue tout le gourbi.
Dubuc , à bout de souffle, dévale dans la cagna.
Mon capitaine ! mon capitaine !
Du dehors viennent des cris, des gémissements
« A moi ! »
Dubuc a repris haleine.
Un obus vient de tomber dans la corvée ! C'est épouvantable ! Je vais faire ramasser les blessés.
Il se lève; Rouzeaud, qui est de jour, le suit. Il me semble qu'un coup de massue s'est abattu sur moi. Je gagne la porte du gourbi.
C'est à deux pas, derrière le PC. Il fait une nuit noire à ne pouvoir mettre un pied devant l'autre.
Tout à coup jaillit la clarté d'une fusée éclairante. Là-bas, près d'un tronc d'arbre, un amoncellement de corps. Ils ne bougent pas. Combien sont-ils ? Je vais pour m'approcher.
Explosion formidable. Une flamme rouge me frappe les yeux. Un nouvel obus vient d'éclater. je suis secoué jusqu'aux entrailles. La fumée prend à la gorge. Une pluie d'éclats et de terre tombe autour de moi. De la nuit sortent des cris, des râles ; et Dubuc et Rouzeaud qui étaient devant moi !
Je rentre dans la cagna, hébété. Dubuc paraît. Il s'écroule sur la couchette, la mine décomposée.
« Mon capitaine, il y a de nouvelles victimes »

Au poste de secours, on ne trouve que trois brancards. Des fainéants de musiciens, accroupis auprès, refusent d'aller chercher les blessés, sous prétexte qu'ils sont brancardiers divisionnaires et ne sont là que pour porter les blessés à Tavannes.

Le poste de secours est fait pour six à huit blessés au plus. Et il en arrive de toutes parts, les miens d'abord, ceux des premières lignes ensuite. C'est une vraie boucherie, pleine de sang et de râles. Sur la peau blanche, des filets de sang vermeil ; des faces décomposées, verdies ; des lambeaux de linge, où restent des lambeaux de chair; une odeur écoeurante. Dans le fond, près d'une bougie, l'aide-major avec l'aumônier, les mains dégouttantes de sang, ne s'arrêtent pas de panser.

Et tout autour, dans les ténèbres, s'écrasent les obus, sans un instant de répit, achevant les blessés qui n'ont pu trouver place à l'intérieur.
Si la moitié de la compagnie est par terre, tant pis; il faut que la corvée parte.
Mais à une seconde instance écrite - de ma part, il est allé voir le charnier et a fait répondre: « Ça va bien! »
Neuf à dix tués, douze blessés graves, dix à douze blessés légers ou commotionnés.
Toute la nuit, les boches battent le ravin de leurs obus.

Mardi 30 mai.

Je suis allé ce matin à l'endroit du massacre.
Une longue mare de sang violet et gluant est figée près du tronc d'arbre. Des casques pleins de sang, des sacs éventrés, des pelles, des fusils éclaboussés de sang.
Une chemise toute blanche émerge, maculée de taches rouges, d'un amas de débris informes. Près de l'arbre une tête n'a pas encore été ramassée. Sans doute celle du pauvre petit Damiens, porté disparu.
Sur ce charnier bourdonne un vol de grosses mouches bleues qui se gorgent de sang..."

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Message par Le Nain Dim 29 Mai - 7:19

Je viens de terminer la généalogie d'une branche de mon épouse, sur sept fils en âge de faire la guerre, trois furent tués.

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Message par olivierh Lun 30 Mai - 2:55

" D'une minute à l'autre, dans notre tranchée, le déluge de fer s'accentue. Les arbres sont fauchés, la terre vole de toutes parts. Une âcre fumée prend à la gorge. A chaque rafale qui passe, le corps se resserre, les nerfs se contractent, et la respiration se fait plus courte, plus saccadée… A côté de moi, le lieutenant Fleury se lève : "Bourdillat me dit-il, je vais voir ce qui se passe ; j'ai tellement les nerfs à bout que je préfère remuer. "C'est d'une imprudence inouïe !… "Ne quittez pas votre trou, mon lieutenant, lui dis-je, les obus nous rasent de si près que c'est folie. " "Tant pis, me répond-il, je préfère marcher un peu…" Il est à peine sur le rebord de la tranchée qu'un éclat d'obus lui arrache la tête… Je regarde stupidement le morceau de mâchoire inférieure qui reste seul attaché au corps, tandis que son cou béant déverse dans la tranchée un mélange de sang, de moelle… C'est quelque chose d'affreux… "


" Pendant 5 jours et 5 nuits, et surtout le 14 et 15, ce fut un enfer terrible de bombardement ; nous étions écrasés par les obus. Personne ne bougeait ; on attendait la mort, avec la soif, la faim, et 10 centimètres d'épaisseur de mouches que nous avions dessus.
Nous avions assez de travail, avec le bout de la baïonnette, pour rejeter les morceaux de cadavres qui nous recouvraient chaque fois qu'un obus tombait tout près. "



" Nous sommes dans une longue tranchée, pleine de morts ; une odeur affreuse monte de l'immense charnier. Soudain, le barrage boche se déclenche. Je vois des camarades, les yeux agrandis par l'épouvante, regarder vers le ciel, frappés de stupeur : Je regarde à mon tour, et je vois, retombant d'au moins 20 mètres, une pauvre chose inerte, bras et jambes ballantes, comme un pantin sans articulations qu'on aurait jeté d'un avion, d'un ballon. C'est un camarade qui a été soulevé comme une plume par le déplacement d'air d'un obus.
Quelques minutes plus tard, un obus éclate si près de moi (1,50 m à peine) que je vois très nettement une boule de feu. Par miracle, je ne suis que légèrement blessé, et je vais dans un petit gourbi, à flanc de ravin pour y attendre la relève. Je partage l'étroit abri avec un autre blessé. Avec quelle joie je savoure la possibilité de pouvoir m'étendre enfin, chose inespérée depuis onze jours ! Mon camarade sur le dos, moi sur le côté, nous nous endormons. Tout à coup, un tir de barrage éclate tout près et un obus tombe juste au-dessus de nous, nous ensevelissant. Alors pour nous, le bombardement devient lointain, lointain… je me rends compte du tragique de la situation ; si personne ne vient à notre secours, nous sommes perdus. Le malheureux qui partage ma tombe est étouffé par la terre ; trois fois de suite, je l'entends faire rronn, rronn, rronn, puis c'est tout ; je devine qu'il est mort ; il n'a pas souffert longtemps.
De tous mes efforts, j'essaie de me soulever, mais trois mètres de terre nous retiennent prisonniers ; par une habitude heureuse que j'avais toujours au front, j'ai toujours sur la tête mon casque avec jugulaire au menton ; la visière avant retient la terre et l'empêche de m'obstruer la bouche. La tête rabattue sur la poitrine, respirant à peine, je garde néanmoins toute ma lucidité. Je me rends parfaitement compte que tout sera bientôt fini ; alors, comme un film de cinéma, toutes sortes de souvenirs se présentent à ma mémoire, mais surtout, je pense à ma mère, à la peine qui sera la sienne lorsqu'elle saura tout ; puis j'entrevois mon père et mon frère décédés que je vais revoir, mes frères et ma sœur qui pleureront aussi à cause de moi ; alors, avec calme, avec toute ma connaissance, du plus profond de mon cœur, je fais mon acte de contrition, demandant à Dieu d'abréger au plus tôt mon martyre ; puis, des minutes s'écoulent, qui n'étaient peut-être que des secondes, mais qui m'ont paru des heures interminables. Je sens que ma tête bourdonne ; des bruits de cloches semblent sonner très fort, puis plus rien. De nouveau, je reprends connaissance, et à ce moment, je me souviens m'être fait cette réflexion : "Ce n'est pas si dur de mourir…"
Combien de temps suis-je resté ici ? c'est flou, mais assez longtemps, au moins 25 minutes, je l'ai su après. Au déclenchement du barrage, tous les camarades se sont sauvés ; quand cela s'est calmé, ils reviennent. C'est alors que le sergent Sèle s'inquiète de moi. Sèle est un camarade qui a fait notre admiration pendant les journées de Verdun par son courage et son sang-froid. "Où est Marybrasse ?" demande-t-il. C'est alors qu'il s'aperçoit de l'éboulement ; il m'appelle : "Marybrasse, Marybrasse, es-tu là ? " Comme dans un rêve, je l'entends vaguement et ne puis répondre. Persuadé que je suis dessous, il ordonne à quelques hommes de piocher rapidement. J'entends des coups lointains qui se rapprochent ; je me dis : "Ils n'arriveront pas jusqu'à moi…" Enfin, j'entends plus distinctement les coups, j'entends même que l'on parle. Sèle dit à ses hommes : "Attention maintenant. "Je sens une main sur mon casque : "J'en tiens un ! "s'écrie Sèle, et alors, de ses mains, il me dégage vivement la tête.
Comment dire ce que j'ai ressenti à ce moment ? Retrouver la vie au moment où je croyais bien la perdre, sentir l'air pur de la nuit… Tout cela m'a ranimé, je me sens sauvé, je pleure de joie. Je remercie mon sauveur, nous nous embrassons. "



" Tant que nous sommes restés à Fleury, nous avons avancé à la grenade, puis reculé sous les grenades, 10 mètres un jour, 20 mètres un autre, et toujours de même. A plusieurs reprises, les obus m'ont fait faire du vol plané dans les airs. Un jour, j'ai vu un camarade qui a eu tout le dessus du crâne enlevé par une explosion d'obus ; il avait le cerveau à l'air et il n'était pas tué. "

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Message par PAT13 Lun 30 Mai - 7:48

Beau et surtout terrible témoignage que tu nous fait partager là Olivier. Je suis toujours aussi triste en parcourant ce moment de l'histoire , me disant quel massacre , toute cette jeunesse foutue en l'air , autant de souffrance pour quel résultat finalement ? Revenir d'une telle boucherie relevait du miracle mais beaucoup n'en sont pas ressortis intacts avec des traumatismes soit physiques ou psychologiques pour le restant de leur vie.
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