bataille de champagne 25 septembre 1915
4 participants
Page 1 sur 1
bataille de champagne 25 septembre 1915
Je suis tombé par hasard sur ce site qui décrit toute la guerre de 1914 à 1918 dans la région de Souain-Suippes. J'ai été particulièrement intéressé par les témoignages de la bataille de champagne 1915, j'y ai un intérêt familial.
Ce n'est pas la grande Histoire, mais la petite histoire de ces malheureux qui ont souffert sur ce front. Des anecdotes qui sentent la terre, les gaz et la charogne.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
Ce n'est pas la grande Histoire, mais la petite histoire de ces malheureux qui ont souffert sur ce front. Des anecdotes qui sentent la terre, les gaz et la charogne.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
olivierh- Jedi
- Messages : 5414
Points : 6868
Date d'inscription : 11/10/2014
Age : 61
Localisation : tahiti
Re: bataille de champagne 25 septembre 1915
26 septembre 1915: Récit du soldat Charles TARDIEU du 4eRIC -Main de Massiges-
Nous allons inspecter un boyau qui descend vers la position allemande. Un simple barrage de sacs bouchait le passage au Balcon.
La nuit venue, munis de lampes électriques, le fusil en bandoulière et le revolver au poing, nous sautons de l’autre côté du barrage, Segondy, Truchi, Mazuir et moi. Le boyau dégringole à pic pendant une vingtaine de mètres. Une fusée blanche, partie du mont Têtu, suspend une clarté livide et nous oblige à nous accroupir.
Nous filons sur la droite, et trouvons l’entrée d’une infirmerie, Avec les mêmes précautions, nous y pénétrons ; mais nous n’avons pas fait deux pas, qu’une odeur épouvantable nous arrête.
« Qu’est-ce qu’il doit y avoir comme macchabées ! » murmure Mazuir, qui se soucie peu du style académique et ignore Littré.
De fait, une terrible puanteur nous enveloppe, arrête notre respiration, flotte comme une vapeur palpable dans l’air. C’est horrible, mais une telle curiosité nous pousse que nous avançons quand même, revolver au poing, prêts à toute surprise. La lumière des lampes, jaillit de nouveau ; un spectacle à faire dresser les cheveux sur la tête nous fait reculer.
Ulysse raconte, au XIe chant de l’Odyssée, sa descente aux Enfers et avoue que, lorsque les ombres des morts se pressent autour de lui, il se sent pâlir de crainte.
Il est certain que, pendant quelques secondes, nous n’en menons pas large les uns ni les autres,
« Nom de Dieu », dit simplement Segondy. Devant nous, creusée droit dans le ventre de la montagne, une galerie s’étend à perte de vue ; à droite une vaste chambre, probablement celle du major, à gauche, autre longue galerie, parfaitement étayée, boisée, consolidée, qui, au bout d’une douzaine de mètres, fait un coude et continue, sans doute épousant la courbe de la colline. Tout cela est bondé de cadavres alignés, la tête au mur, tragiquement immobiles, malades ou blessés des jours derniers, abandonnés là et morts faute de soins. Tout à coup, pour ajouter à l’horreur de cette nécropole, des voix s’élèvent lamentables et glacées : « Kamerades ! Kamerades ! » Des morts bougent et semblent ressusciter. Une tête tout près de nous, une autre là-bas, au milieu de ce tas de cadavres, une autre encore au seuil de l’obscurité, tout au fond, tournent vers nous leur face affreuse, hirsute, leurs yeux suppliants où planent déjà les ombres de la mort,
Je brandis mon revolver et commande : Kein Wort ! (Pas un mot). Le silence retombe sur ce cimetière, mon sang bout avec violence dans mes artères. II me semble que nous sommes à jamais séparés du reste du monde et jetés dans une cité des morts souterraine, dont l’issue nous est bouchée désormais et où nous errerons lamentablement. J’échappe avec peine à cette impression.
Pendant ce temps, surmontant le dégoût, je parcours les galeries. Partout des morts et encore des morts que j’enjambe pour avancer. Ah ! J’ai vu bien des spectacles émouvants. Mais rien de, tout cela n’égalait en horreur ce que j’ai sous les yeux. Tout ici est réuni pour donner à l’âme l’inoubliable vision d’une formidable et tragique destinée.
Je reviens au blessé qui gémit toujours. Il est là depuis six jours abandonné des siens, torturé de la soif, et tout de même quelque pitié s’élève en moi. En un allemand pénible, je lui affirme que nous reviendrons le chercher : Wir werden wieder kommen, Une lueur brille dans ses yeux. Il se recouche dans sa nuit tragique. Comment cet homme n’est-il pas mort dans ce charnier?
Mais je suis à bout de courage. Je ne puis rester plus longtemps dans cet enfer, le cœur va me manquer. Je donne le signal du départ. Aux blessés je répète ma phrase : « Demain, demain nous reviendrons ».
L’un d’eux, pour mieux nous apitoyer, nous tend un béret de sous-officier et une caisse de fer-blanc pleine de sucre. Il a l’air tout à fait étonné que nous la lui laissions.
Nous revoici dehors. La nuit est d’encre et nous retrouvons péniblement notre sentier jalonné de cadavres. Il me semble que derrière nous tous ces morts se sont levés et nous accompagnent.
Le lendemain, aidés de camarades, nous remontons quatre blessés, le revolver sur la tempe pour les empêcher de crier sous la souffrance. Les autres étaient morts, plutôt de soif et de détresse que de leurs blessures.
Extrait de Sous la pluie de fer de Charles TARDIEU du 4RIC
Nous allons inspecter un boyau qui descend vers la position allemande. Un simple barrage de sacs bouchait le passage au Balcon.
La nuit venue, munis de lampes électriques, le fusil en bandoulière et le revolver au poing, nous sautons de l’autre côté du barrage, Segondy, Truchi, Mazuir et moi. Le boyau dégringole à pic pendant une vingtaine de mètres. Une fusée blanche, partie du mont Têtu, suspend une clarté livide et nous oblige à nous accroupir.
Nous filons sur la droite, et trouvons l’entrée d’une infirmerie, Avec les mêmes précautions, nous y pénétrons ; mais nous n’avons pas fait deux pas, qu’une odeur épouvantable nous arrête.
« Qu’est-ce qu’il doit y avoir comme macchabées ! » murmure Mazuir, qui se soucie peu du style académique et ignore Littré.
De fait, une terrible puanteur nous enveloppe, arrête notre respiration, flotte comme une vapeur palpable dans l’air. C’est horrible, mais une telle curiosité nous pousse que nous avançons quand même, revolver au poing, prêts à toute surprise. La lumière des lampes, jaillit de nouveau ; un spectacle à faire dresser les cheveux sur la tête nous fait reculer.
Ulysse raconte, au XIe chant de l’Odyssée, sa descente aux Enfers et avoue que, lorsque les ombres des morts se pressent autour de lui, il se sent pâlir de crainte.
Il est certain que, pendant quelques secondes, nous n’en menons pas large les uns ni les autres,
« Nom de Dieu », dit simplement Segondy. Devant nous, creusée droit dans le ventre de la montagne, une galerie s’étend à perte de vue ; à droite une vaste chambre, probablement celle du major, à gauche, autre longue galerie, parfaitement étayée, boisée, consolidée, qui, au bout d’une douzaine de mètres, fait un coude et continue, sans doute épousant la courbe de la colline. Tout cela est bondé de cadavres alignés, la tête au mur, tragiquement immobiles, malades ou blessés des jours derniers, abandonnés là et morts faute de soins. Tout à coup, pour ajouter à l’horreur de cette nécropole, des voix s’élèvent lamentables et glacées : « Kamerades ! Kamerades ! » Des morts bougent et semblent ressusciter. Une tête tout près de nous, une autre là-bas, au milieu de ce tas de cadavres, une autre encore au seuil de l’obscurité, tout au fond, tournent vers nous leur face affreuse, hirsute, leurs yeux suppliants où planent déjà les ombres de la mort,
Je brandis mon revolver et commande : Kein Wort ! (Pas un mot). Le silence retombe sur ce cimetière, mon sang bout avec violence dans mes artères. II me semble que nous sommes à jamais séparés du reste du monde et jetés dans une cité des morts souterraine, dont l’issue nous est bouchée désormais et où nous errerons lamentablement. J’échappe avec peine à cette impression.
Pendant ce temps, surmontant le dégoût, je parcours les galeries. Partout des morts et encore des morts que j’enjambe pour avancer. Ah ! J’ai vu bien des spectacles émouvants. Mais rien de, tout cela n’égalait en horreur ce que j’ai sous les yeux. Tout ici est réuni pour donner à l’âme l’inoubliable vision d’une formidable et tragique destinée.
Je reviens au blessé qui gémit toujours. Il est là depuis six jours abandonné des siens, torturé de la soif, et tout de même quelque pitié s’élève en moi. En un allemand pénible, je lui affirme que nous reviendrons le chercher : Wir werden wieder kommen, Une lueur brille dans ses yeux. Il se recouche dans sa nuit tragique. Comment cet homme n’est-il pas mort dans ce charnier?
Mais je suis à bout de courage. Je ne puis rester plus longtemps dans cet enfer, le cœur va me manquer. Je donne le signal du départ. Aux blessés je répète ma phrase : « Demain, demain nous reviendrons ».
L’un d’eux, pour mieux nous apitoyer, nous tend un béret de sous-officier et une caisse de fer-blanc pleine de sucre. Il a l’air tout à fait étonné que nous la lui laissions.
Nous revoici dehors. La nuit est d’encre et nous retrouvons péniblement notre sentier jalonné de cadavres. Il me semble que derrière nous tous ces morts se sont levés et nous accompagnent.
Le lendemain, aidés de camarades, nous remontons quatre blessés, le revolver sur la tempe pour les empêcher de crier sous la souffrance. Les autres étaient morts, plutôt de soif et de détresse que de leurs blessures.
Extrait de Sous la pluie de fer de Charles TARDIEU du 4RIC
olivierh- Jedi
- Messages : 5414
Points : 6868
Date d'inscription : 11/10/2014
Age : 61
Localisation : tahiti
Re: bataille de champagne 25 septembre 1915
Plus qu'horrible mais ce qui est le plus triste dans tout ça c'est que demain cela pourrait se reproduire car les hommes même avec le temps et le recul ne savent pas retenir les leçons du passé.
PAT13- Admin
- Messages : 6850
Points : 7526
Date d'inscription : 05/02/2014
Age : 69
Localisation : Marseille
Re: bataille de champagne 25 septembre 1915
Encore faudrait il qu'il y ait des leçons à tirer du passé, ce à quoi je ne crois pas. L'existence nous apprend que l'expérience n'est pas transmissible. Nous l'avons constaté avec nos parents et en élevant nos enfants.
Par hasard, j'ai commencé à relire cet ouvrage hier soir. Si vous tombez dessus, n'hésitez pas à l'acheter. Il n'a pas été réédité, mais se trouve sur des sites de vendeurs de livres d'occasion.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
Par hasard, j'ai commencé à relire cet ouvrage hier soir. Si vous tombez dessus, n'hésitez pas à l'acheter. Il n'a pas été réédité, mais se trouve sur des sites de vendeurs de livres d'occasion.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
_________________
Huic superes tu qui superes successor honoris ;
Degener es si degener a laude prioris.
Epitaphe du roi Louis VII.
Le Nain- Moderateur
- Messages : 4354
Points : 4576
Date d'inscription : 18/04/2014
Age : 67
Re: bataille de champagne 25 septembre 1915
Le Nain a écrit: L'existence nous apprend que l'expérience n'est pas transmissible.
Surtout ne dit pas ça à un Compagnon du Devoir au risque que si ce dernier est menuisier te réalise une guillotine rien que pour toi .
Dernière édition par PAT13 le Lun 27 Nov - 12:20, édité 1 fois
PAT13- Admin
- Messages : 6850
Points : 7526
Date d'inscription : 05/02/2014
Age : 69
Localisation : Marseille
Re: bataille de champagne 25 septembre 1915
effectivement poignant
TYTY- Chevalier
- Messages : 2133
Points : 2601
Date d'inscription : 25/03/2014
Age : 66
Localisation : 14 vire
Re: bataille de champagne 25 septembre 1915
PAT13 a écrit:Le Nain a écrit: L'existence nous apprend que l'expérience n'est pas transmissible.
Surtout ne dit pas ça à un Compagnon du Devoir au risque que si ce dernier est menuisier te réalise une guillotine rien que pour toi .
Le savoir est transmissible, l'expérience est unique et personnelle.
_________________
Huic superes tu qui superes successor honoris ;
Degener es si degener a laude prioris.
Epitaphe du roi Louis VII.
Le Nain- Moderateur
- Messages : 4354
Points : 4576
Date d'inscription : 18/04/2014
Age : 67
Sujets similaires
» Un automne en Champagne
» Les Mines ; Annexes de l'automne en Champagne !!
» la bataille de Verdun
» Débat: La bataille de Muret et la fin de l'Occitanie.
» Bataille d’Orange : le jour où l'armée de Maximus fut massacrée
» Les Mines ; Annexes de l'automne en Champagne !!
» la bataille de Verdun
» Débat: La bataille de Muret et la fin de l'Occitanie.
» Bataille d’Orange : le jour où l'armée de Maximus fut massacrée
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous pouvez répondre aux sujets dans ce forum
|
|